Bien parlant
"Chaque jour, autour de nous, le langage perd un peu plus de son volume et la pensée sa respiration ; les détours respirés, les chemins de traverse, les courbes sont interdites : tout va vers le linéaire, la phrase à sept, cinq, trois mots, le slogan ; tout va vers une langue plate, uniforme, répétitive, incapable de restituer le drame de la pensée, de développer ses volutes contradictoires. Par l'expansion universelle d'une pensée binaire, d'un rythme à deux temps, le manichéisme se répand et gagne tout. Comme si notre pensée aujourd'hui - et le langage humain - avait le souffle coupé ; comme si respirer, aller au bout de la phrase, traverser la noyade, renverser les mots, retourner les sens, brûler le langage par notre corps et s'y perdre, nous était interdit. Tout doit être de surface, suréclairé, sans ombre aucune, sans volume, présenté sous son meilleur jour et toujours à vendre : avec étiquette, mode d'emploi, prix et résumé du contenu..."
Valère Novarina, Lumières du corps, P.O.L., 2006